Bon, maintenant que tout le monde y est allé de sa petite analyse, je vais vous proposer la mienne. Je préviens: ça risque d'être long, le sujet étant particulièrement sensible pour moi, étant estampillé "auteur comique" depuis de nombreuses années maintenant.
Avant toute chose, je voudrais tout de même apporter une précision au problème initial posé par Roland: le terme "comique" me gêne un peu. Je lui préfère largement celui de "humoristique". Synonyme? Pas pour moi. Le comique est celui qui, à l'école, ne trouve rien de mieux à faire pour tromper son ennui que mettre une punaise sur le siège du prof ou faire des oreilles d'âne au type devant lui sur la photo de classe ; l'humoriste est celui qui a bien compris que l'école n'est qu'une vaste fumisterie et qui va donc la tourner en ridicule en inventant des théories absurdes et des philosophes bidons à mettre dans ses copies ou faire un exposé devant soixante personnes déguisé en curé. *hum*
Le comique, c'est Mickael Youn ou Jamel Debbouze. L'humoriste, c'est Guy Bedos ou Pierre Palmade. Vous voyez la différence?
Pour appliquer ce distinguo au sujet qui nous intéresse, je dirais donc qu'une pitoyable parodie Bragelonnienne sera "comique" tandis qu'un roman des Annales du Disque-Monde sera "humoristique". Fin de la parenthèse.
Question: Pourquoi les romans humoristiques - et notamment les romans de fantasy - ne font-ils pas recette auprès des éditeurs?
Eléments de réponse:
1/
Ma Chwipounette a écrit :L'humour est la chose la moins universelle au monde.
Je peux me permettre de citer Chwip sans lui verser de droits d'auteur: cette phrase se trouve être de moi. Je l'ai utilisée pour lui expliquer pourquoi un éditeur ne prendra pas le risque de publier un texte humoristique, même si elle / moi / mon voisin le trouve excellent. Et pourtant, Dieu sait que le comité de lecture de 5S en voit passer, des perles d'humour...
En effet, rien n'est moins universel que l'humour car, selon votre origine sociale ou géographique, votre bagage culturel, votre génération, vous ne rirez pas des mêmes choses. Il est donc plus facile de faire l'unanimité autour d'un roman - ou d'un film, car c'est le même problème - d'aventures, épique, dramatique, ou ce que vous voudrez, qu'autour d'un roman supposé faire rire ou sourire.
Ce n'est pas compliqué à comprendre: une orpheline de dix ans battue par sa marâtre, cela émeut à peu près tout le monde ; un guerrier barbare chauve et édenté qui tente de conquérir un empire du haut de ses quatre-vingts dix ans et de ses rhumatismes, certains trouveront cela hilarant, d'autres sans intérêt parce qu'ils ne seront pas dans le même trip que l'auteur, quelle qu'en soit la raison.
2/
Elise a écrit :Heu ben je crois que Pratchett est un mastodonte (le joli mot) en la matière, alors du coup après pour faire "mieux" dans le genre, à mon avis c'est difficile
Autant j'aime beaucoup Elise, autant là je dois reconnaître qu'elle a écrit une énorme connerie qui, lorsqu'elle est prononcée par une personne moins charmante qu'elle, me donne envie de lui faire goûter ma salade de phalanges.
Bien entendu, Terry Pratchett est un génie, un maître absolu de la fantasy burlesque... Et alors? Parce qu'un autre auteur est sur le créneau, je n'ai pas le droit de m'y installer moi aussi, et les éditeurs ne peuvent pas publier un "deuxième Pratchett?" Depuis quand un auteur doit-il avoir un monopole sur un genre?
J'en ai plus qu'assez qu'on me sorte,
à chaque fois que j'avoue écrire de la fantasy burlesque: "Ah ouais, tu plagies Pratchett" avec un air méprisant que je vous laisse imaginer - et que vous n'aurez aucun mal à imaginer, d'ailleurs, puisque c'est sans doute celui que vous auriez pris à cet instant si vous m'aviez eu en face de vous.
Je vous emmerde, et bien profond. Comme l'a si bien souligné Roland, je ne viens pas casser les noix aux auteurs de high-fantasy en leur assénant qu'ils pompent Tolkien, ou aux auteurs de space-opera en leur rappelant que Frank Herbert est déjà passé avant eux.
3/
Zordar a écrit :La fantasy humoristique c'est un peu mon style et j'avoue que ce n'est pas facile à écrire sans tomber dans la facilité (pipi, caca)
Zordar soulève un problème intéressant: le manque de qualité de nombreuses productions humoristiques, qui s'apparentent effectivement à du "pipi-caca" - ou assimilé. Pourquoi? Tout simplement parce que l'humour a la réputation d'être
facile à faire. Une bonne tarte à la crême et ça fonctionne, n'est-ce pas?
Non. Contrairement à ce que peuvent croire ceux qui se lancent là-dedans parce qu'ils ne savent rien faire d'autre, l'humour n'est absolument pas facile - pour peu qu'on aille au-delà du pipi-caca, évidemment. Prendre le contrepied du lecteur, pondre un jeu de mots improbable, monter une situation acadabrantesque, détourner des références connues, jouer avec l'ordre établi, tout cela est un véritable travail d'orfèvre qui... Je me rends compte que j'allais plagier Desproges, mieux vaut donc rendre au Maître ce qui lui appartient:
Le Grand Pierre a écrit :Mais qui es-tu, zéro flapi, pour te permettre de penser que le labeur du clown se fait sans la sueur de l'homme? Qui t'autorise à croire que l'humoriste est sans orgueil? Mais elle est immense, mon cher, la prétention de faire rire. Un film, un livre, une pièce, un dessin qui cherchent à donner de la joie (à vendre de la joie, faut pas déconner), ça se prépare, ça se découpe, ça se polit. Une oeuvre pour de rire, ça se tourne, comme un fauteuil d'ébéniste, ou comme un compliment, je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire avec ce trou béant dans ta boîte crânienne... Molière, qui fait toujours rire le troisième âge, a transpiré à en mourir. Chaplin a sué. Guitry s'est défoncé. Woody Allen et Mel Brooks sont fatigués, souvent, pour avoir eu, vingt heures par jour, la prétention de nous faire rire.
Tout ceci en réponse à un critique qui descendait un film sous prétexte que celui-ci n'avait
que la prétention de faire rire. Comme si cela ne suffisait pas!
Cela rejoint le dernier point que je comptais développer, et c'est peut-être finalement le principal d'entre tous:
4/
Tout le monde a écrit :L'humour, ce n'est pas sérieux.
Il n'y a pas si longtemps, j'ai grandement étonné une amie en lui confiant que si je faisais preuve d'autant d'humour et de second degré - dans mes écrits, certes, mais aussi et surtout dans la vraie vie - ce n'était pas uniquement pour m'amuser, mais parce que c'était un moyen plus ou moins inconscient de me protéger, de tourner en dérision mes peurs, de m'aider à survivre dans un quotidien pas forcément drôle. En bref, ce jour-là je lui ai appris que l'humour est souvent une marque de névrose chez celui qui s'y livre. On est loin de la tarte à la crême ou de l'arroseur arrosé.
Le jour où l'on aura compris que l'humour - je parle bien d'
humour et non de
comique - est l'une des choses les plus sérieuses au monde, on aura fait un grand pas vers moins de connerie.
En attendant, je continuerai d'être traité avec dédain et de ne pas être considéré à ma juste valeur, parce que j'
écris de la
fantasy humoristique *3 hits combos - il ne manquerait plus que je sois Noir pour avoir la totale*.
Accessoirement, je continuerai d'écrire pour un public de trois ou quatre personnes à tout casser, puisqu'aucun éditeur n'ira publier un roman "pas sérieux", "décalé", "marginal", si celui-ci n'a pas été écrit par un type qui a vendu des millions de romans depuis vingt ans qu'il fait ce métier.
Voilà, voilà. Mon Dieu, ça fait une heure que je suis en train de rédiger ce truc interminable. Franchement, il y en a qui m'ont lu jusqu'au bout?